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Pourquoi les adolescents n’aiment pas les fêtes de famille ?

Alberto Eiguer

Adolescence, 2005, 23, 3

Alberto Eiguer est psychiatre et psychanaliste. Il travaille sur la famille et les pathologies familiales en particulier sur les aspects générationnels et transgénérationnels de celles-ci. Ce texte montre que les rapports qu’entretiennent le adolescents avec les fêtes ressortissent à des rituels subjectivants.

Dans son introduction, Alberto Eiguer explique combien il serait faux à ses yeux de considérer la fête des adolescents uniquement sous l’angle de la « défense maniaque ». Ce concept donnerait la fête comme un moment d’hyper-activité, une phase maniaque liée à la pathologie maniaco-dépressive, à laquelle succèderait une phase d’épuisement, de dépression. Pour Eiguer, qui reprend Didier Houzel, il faudrait distinguer la « défense maniaque » de la « position maniaque » : dans une situation de frustration, devant une perte, faire la fête, se changer les idées, n’est pas une forcément pathologique.

Dans un premier temps, A. Eiguer s’intéresse aux fêtes de familles, et à leur fonction dans le groupe familial. Ces fêtes relèvent de trois ordres, qu’il nomme les trois C : les cérémonies, les célébrations et les commémorations, qui chacune renvoient au rite, au lien entre la famille et le monde et enfin à la mémoire de la famille.

Le rite est la reproduction et la réaffirmation de l’ordre des choses, des hiéarchies et de la distribution du pouvoir au sein de la famille. Le rite est un rappel du passé, répétitif et peu spontanné, dont le déroulement rappelle à chacun les codes et les positions dans le groupe. Il renouvelle la fondation du groupe familial, les liens de parenté qui unissent ses membres, même si ceux-si sont « agglomérés » par le lien marital. Bien qu’invitation à l’unité familiale, le rite peut aussi mettre au jour les clivages qui la traversent.

Alberto Eiguer note aussi combien la nourriture, le repas, c’est du groupe incorporé : « la nourriture, c’est la part du corps familial que l’on souhaite introjecter dans une certaine jouissance ». Le repas fonctionne comme si le groupe familial disposait d’un corps physique que dont ingérestion donnerait du plaisir. On ne peut s’empêcher de penser à la pratique rituelle chrétienne de l’eucharistie. Mais le repas est aussi l’occasion de l’expression d’une domination : celle de celui ou celle qui a prévu le menu. Les individus qui partagent le repas, se plient à cette domination en le mangeant. Ainsi, la fête de famille marque l’individu comme sujet du groupe au delà de son idividualité. Cependant, à l’intérieur du groupe, chacun, par les liens qu’il noue ou renoue à l’occasion du rite, essaie d’imaginer comment il peut exister malgré le rite.

Pour Eiguer, la société de façon générale est fondée sur le don et la dette. Que l’on retrouve notamment dans les cadeaux distribués lors de la fête familiale. Il peut y avoir une compétition « du meilleur cadeau », qui marque la rivalité à l’intérieur du groupe.

Ce qui est célébré dans les fêtes de familles, ce sont les événements à caractère solennel qu’ils concernent la famille seule ou qu’ils aient un caractère religieux ou culturel. Le religieux et le politique tentant parfois de s’immiscer dans la sphère privée de la famille par le biais des célébrations (fête des mères, noël).

Les commémorations rappellent des dates. Mais même dans le cas d’un décès, la commémoration est une réverbération des fêtes précédentes. On cherche à s’y remémorer autant la fête que l’événement qui la provoque. Car même s’il s’agit de la mort de quelqu’un, le rite est une invite à la vie.

Ainsi, l’essence de la fête, c’est le symbole. La famille y réaffirme qu’elle est une, qu’elle a son identité. Pour A. Eiguer, le rite excite et réveille le fantasme de la scène primitive (la relation sexuelle des parents). Il renvoie à l’histoire familiale, et même à sa préhistoire, ce qui s’est passé avant nous. Avec la fête, les liens de parenté, la filiation sont réaffirmés, tout comme les légendes et les mythes familiaux.

Or la connaissance de cette histoire n’est jamais complète, et la répétition des fêtes de famille est l’occasion d’accroître cette connaissance. Cependant, il y existe toujours une part inconnue ou refoulée : les secrets de famille.

Et c’est souvent à ce propos que l’adolescent fait symptome dans une famille. Il se fait alors le « trouble-fête », porte-parole d’un membre de la famille exclu, marginalisé ou oublié.

Puis A. Eiguer s’intéresse à la fête des adolescents, envisagée sous la forme des « rave ». Au début, les adolescents sont à la recherche d’autres types de fêtes. Ils expriment la volonté de se différencier des parents. C’est le moment pour eux de prendre du recul par rapport à l’objet d’amour que représentent les parents. Ayant perçu leurs parents comme « purs », ils eprouvent de la désillusion. Ils se retrouvent donc dans des fêtes qui prennent des formes d’excès (de bruit, de lumière, de consommation d’alcools et de drogues). Ils veulent marquer que leur corps leur appartient et qu’ils « ne doivent rien aux parents ». Ce faisant, les adolescents manifestent un voeu d’auto-engendrement, ils refusent la dette envers les parents qui les ont mis au monde. Dans ce refus, se joue un autre registre symbolique : la hiérarchie familiale, les rapports internes de pouvoir. Pour A. Eiguer, en fait, c’est le positionnement des adolescents dans leur généalogie que le voeu d’auto-engendrement interpelle. Ils sont à la recherche de leur place dans le groupe-famille, place qu’ils ne la trouvent pas dans les fêtes de familles. Ils cherchent alors leur place dans des groupes de pairs, ils cherchent d’autres pères…En s’éloignant de la famille, ils essaient en fait de comprendre comment prendre leur place dans la généalogie familiale.

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