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Nous ne parlons pas la meme langue

Vu -entendu plutôt- de France, le Québécois fleure bon un français patoisant, inspirant vaguement la nostalgie du territoire perdu qu’est le passé. Le Québec, après tout, c’est une conquête que les anglais nous ont piquée. Commencer un article avec une affirmation aussi béret-baguette franchouillarde, c’est osé, je le reconnais.

Il y aurait beaucoup à dire de cette perception, erronnée il va sans dire, d’une langue véritable qui a évolué en parallèle du français de France. Et encore le français de France est à bien des égards une fiction. Mais je ne vais pas me lancer dans une dissertation sur la langue comme construction politique d’un état. Ca viendra, quand j’aurai l’occasion de préciser la relation des québécois avec leur langue, qu’ils nomment français, dans un contexte d' »assiègement » linguistique anglophone. Je ne ferai pas non plus de détour vers la problématique Amérique. Les québécois sont définitivement américains, pas étatsuniens bien sur, mais il ne faut pas le leur dire sans prendre d’excessives précautions oratoires.

Des deux côtés, on reproche aux autres d’abuser anglicismes. Une collègue, française, m’avait avertie : « ne leur dis pas qu’ils mettent des anglicismes partout, ils te répondront que ce sont les français qui en font. » Et en effet, « ils » nous reprochent nos mails, notre shopping, nos stops etc… pendant qu’ils magasinent (en provenance directe de l’anglais shopping) s’exclament « c’est cute », proposent un « lift », pesent sur le brake (appuient sur le frein) ou, plus subtilement, « appliquent » (postulent, de l’anglais apply) à un emploi, vont chercher une pipe (de l’anglais pipe=tuyau) pour arroser le jardin. Sans oublier qu’ils vous invitent à un party ou, c’est sur, il y aura du fun. Je vous épargne la liste des différences et n’entrerai pas dans le débat houleux parfois, je préfère vous renvoyer à la série hilarante d’articles à ce sujet sur le blog « maudit français« .

L’objet de cet article est juste de montrer par l’exemple comment nous nous mé-comprenons de part et d’autre de l’Atlantique. Je me contenterai de vous raconter une de ces anecdotes savoureuses d’incompréhension mutuelle.

Lors d’une soirée « mondaine », à savoir le lancement d’un des nombreux livres dirigés par mon directeur de thèse, je me retrouve autour du buffet (normal, quoi) avec quelques collègues québécois. L’un d’eux, parlant de ses récentes expériences d’apprentissage de la conduite, me dit : « je me suis ramassé sur l’autoroute, je n’ai pas compris comment. » Je prends une attitude empathique et lui demande : « rien de grave, j’espère ? » il me répond « non, non, j’avais le temps, je suis juste arrivé chez nous plus tard ». On m’avait dit que les québécois étaient des gens « cool » mais là, j’avoue qu’il m »épate. « Mais, il y a beaucoup de dégâts ? » repris-je. La, je sens bien à son regard qu’il y a comme une incompréhension entre nous. Je reprends : « quand tu dis que tu t’es ramassé, çà signifie quoi ? » Ses yeux s’arrondissent. Il parle français à ce qu’il sache, c’est quoi cette française ? « Ben, j’étais sur (le nom de la rue importe peu et je ne m’en souviens pas) pis je m’suis ramassé sur l’autoroute ! » Ah ! voilà ! Rien de grave en effet ! J’éclate de rire. « En Fance, quand on dit qu’on s’est ramassé, çà veut dire qu’on est tombé, qu’on a eu un accident, enfin c’est plutôt négatif. Et là, je te trouvais vraiment très « cool » d’avoir eu un accident sur l’autoroute et d’en parler comme çà ! » Éclats de rire de part et d’autre. « C’est sur ! je suis zen mais pas tant! »

Puis nous célébrons une nouvelle entente franco-québécoise avec un verre de vin pas pire (plutôt bon en français de France) bien que pas français et des bouchées à l’érable pas pires non plus. La soirée s’est terminée au pub, où j’ai testé la bière canadienne. Je suis rentré à pieds. Heureusement que j’étais à deux pas de chez moi, je me serais peut-être ramassée au sens français de France….

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