Poster un commentaire

La désagrégation des rites dans les sociétés modernes

Présentation du texte de Françoise Champion

Françoise Champion est sociologue de la santé mentale. Ce texte est une synthèse des communications reçues au cours du colloque de l’Association Française de Sociologie des Religions qui s’est tenu en février 2003. L’objectif mis en exergue par les organisateurs du colloque était de proposer une réappropriation du rite par la sociologie. En effet, dans son histoire en France du moins, la sociologie a abandonné le rite à l’anthropologie et aux sociétés traditionnelles. Les ambitions des organisateurs étaient de mettre l’accent sur les ritualités politiques et religieuses des sociétés modernes. C’est dans ce contexte que Françoise Champion propose d’introduire les discussions de la session « rituels communautaires entre politique et religion » par ce texte. Le constat de la sociologie récente est que les sociétés modernes seraient donc a-rituelles, c’est à dire que le rite n’y serai plus constitutif de la vie sociale. Ce que Françoise Champion souhaite infirmer. Elle constate cependant que le rite s’inscrit dans une temporalité avec un ancrage fort au passé et les tentatives de création de nouveaux rites n’ont pas cet arrimage aux temps anciens. Seuls les nouveaux rituels autour du sida semblent « prendre » (se maintenir, perdurer), et probablement en raison de la dimension émotionnelle individuelle et collective liée à ce que FC nomme une « immense tragédie ».

Le rite dans les sociétés modernes est fragile, donc. Les anciens rites, s’ils tendent à s’effacer, résistent mieux néanmoins à la modernité et ce parce qu’ils préservent un « imaginaire de la continuité ».

La question se pose de définir « de quoi le rite est fait ». Elle identifie quatre composants principaux! :

  • Le « nous ». Composante la plus évidente à ses yeux, le rite permet à des individualités déspersées par la tendance à l’individualisation de la société de se repenser comme un collectif uni. « dans la société moderne, le rite est ainsi un support identitaire essentiel pour des nous menacés. » Par essence le rite ne peut pas reposer sur la seule expérience personnelle, il ne peut exister que pour une communauté et dans une continuité temporelle rassemblant plusieurs générations, vivantes ou mortes. Le rite vient donc s’opposer à la société moderne qui vise à séparer les individus de leur communauté d’origine, de leur héritage communautaire. Du coup, dans un mouvement inverse, le rite devient un moyen de « résistance » à la dilution identitaire des sociétés modernes, et il s’en trouve réactivé sous des formes diverses.
  • Le caractère institué. Le rite, c’est du déjà-là (les anciens l’ont fait avant nous). Ce déjà-là peut être perçu comme une sclérose dont il faudrait se défaire, mais aussi comme une « économie d’énergie » Les codes du rites permettant à chacun de se concentrer sur les significations et implications personnelles dans le rite institué. Ainsi, le rite a une fonction instituante (cf. Bourdieu) et l’activité rituelle peut se percevoir comme une dialectique de l’institué et de l’instituant. Cependant, il est assez plastique : dans les sociétés modernes les rites peuvent être choisis, mobiles, subjectivisés -une même personne peut l’investir de significations différentes au cours de sa vie-. Enfin, le rite met en scène la permanence et la continuité « il est de la remémoration en acte ». Il permet d’échapper à l’oubli dans des temps très mobiles.
  • Le rite c’est du sensible. Le rite fait appel à tous les sens : la vue et l’ouïe, mais aussi l’odorat, le toucher et le goût. Les odeurs, les saveurs et le toucher laissent une trace dans le corps des participants, accentuant la fonction de transmission du rite. Le rite institue le « nous » et « les autres » aussi par la mémoire corporelle. Il y a un partage sensoriel. Ce caractère sensible du rite l’est pour les membres de la communauté comme pour ceux « qui n’en sont pas ». Cet aspect peut, volontairement ou non, prendre un caractère politique. Il devient la marque d’une revendication identitaire.
  • Le rite comme langage symbolique. Le rite met en jeu des symboles (paroles mais aussi gestes et objets), il est polysémique en ce sens que les observateurs et les participants ne leur attribuent pas le même sens. Le rite des sociétés traditionnelles est ésotérique car il s’adresse à des initiés. Pour les acteurs du rite des sociétés modernes, le sens des symboles est moins fixe. F. Champion pense que le rite moderne ne peut perdurer qu’à la condition que le collectif d’ « acteurs-inventeurs » en accepte l’aspect polysémique, qui n’en épuise pas les significations et par là, conserve une part qui lui échappe « impossible à clôture, toujours ouvert sur un par-delà ce qui peut aujourd’hui se signifier ».

Ainsi, réactivé sous des formes diverses dans les sociétés modernes, le rite permet de lutter contre l’oubli. Le partage sensoriel qu’il permet peut lui donner un caractère de revendication identitaire. Langage symbolique, la mobilité des sens du rite est une caractéristique des sociétés modernes.

Pour Françoise CHampion, il existe une sensibilité contemporaine qui valorise le rite. Opposé à la croyance (essentiellement individuelle, à caractère « irrationnel ») en particulier par sa rareté : F. Champion souligne que les croyances pullulent tandis que le rite est plus rare. Inventer un rite ne se décide pas simplement : il faut un collectif d’ expériences et de croyances qui permettent la construction d’un langage sumbolique qui échappe à la rationnalité de plus en plus prévalante des temps modernes. Le paradoxe serait ainsi que le rite comme forme prend du sens tandis que les rites (veut-elle dire rituels ?) perdent de leur sens.

Laisser un commentaire