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La course de canot à glace

Si le Canada ratifie un jour la Convention pour la sauvegarde du patrimoine immatériel de l’UNESCO, ou si le Québec obtient la souveraineté, options tout aussi improbables l’une que l’autre actuellement, voici une activité qui obtiendrait sans nul doute son inscription sur la liste du patrimoine immatériel représentatif. Le canot à glace me paraît une de ces traditions qui s’ancrent dans l’histoire et que les communautés ont recréée. Il semble par ailleurs qu’aucune autre région du monde que le Québec, et dans une moindre mesure l’Ontario, n’aie développé cette technique de navigation.

Autrefois, le canot à glace était un moyen de transport permettant aux habitants des îles du fleuve St Laurent de se ravitailler et d’avoir un lien avec la rive pendant l’hiver. Le fleuve étant pris par la glace, aucune navigation ne pouvait se faire à l’époque de la marine à voile. Et l’arrivée des bateaux métalliques à moteur n’améliorera que partiellement la situation.

Les embarcations comprenaient habituellement quatre rameurs et un barreur qui devaient sauter hors du canot et le pousser sur la glace à la rencontre avec un des nombreux bancs dérivant sur l’eau. La navigation s’effectuait ainsi dans et hors de l’eau, entre glace et frasil, et ce depuis le 17ème siècle. La dérive de la glace pouvait atteindre 9 km/h, et le barreur devait avoir un sens aigu de la trajectoire en fonction du courant. La plupart des insulaires avaient une embarcation et dès leur plus jeune âge, les enfants apprenaient le canotage sur glace. On comptait par exemple plus de 200 canots qui reliaient principalement Lévis, rive sud, à Québec rive nord aux environs de 1860.

Dès le 19ème siècle, des compétitions de canot à glace permettent aux canotiers de s’affronter, en particulier entre Québec, rive nord, et Lévis, rive sud. Mais c’est depuis 1954 que la course est devenue une activité sportive à part entière avec l’institution du Circuit international de canot à glace, qui a pris cette année le nom de Circuit Québécois de  canot à glace. Le Circuit comprend quatre courses : la Grande traversée Casino de Charlevoix à l’Isle-aux-Coudres, la course en canot du Carnaval de Québec, la course de la banquise à Portneuf et le Grand défi des glaces à Québec.

En 1984 l’Association des Coureurs en Canot à Glace du Québec (ACCGQ) est fondée afin d’organiser les courses et d’établir un règlement. Les canots ont une longueur maximale  de 8,53 mètres et un poids minimun compris entre 110 et 120 kg selon la catégorie. Ils sont généralement composés de fibre de verre, d’époxy et de fibre de carbone. Initialement, seuls les hommes pouvaient s’engager dans cette course, mais aujourd’hui la compétition comprend des équipes féminines.

Aujourd’hui, donc, je suis allée assister à la course du Carnaval de Québec. Une amie m’avait avertie : « tu dois arriver de bonne heure, sinon tu ne pourras rien voir ». Le départ étant à 13h30, je suis arrivée près du bassin Louise à midi et demie. Il faisait -7° avec un vent de 20km/h. Le ciel était gris et quelques flocons minuscules voletaient jusqu’au sol. Il y avait déjà pas mal de monde mais j’ai trouvé à me faufiler le long de la barrière de sécurité entre des amateurs avertis. J’ai profité de leurs commentaires et des informations techniques. Néanmoins, je me suis gelée une bonne heure avant le départ, plus une heure de course. J’avais beau avoir prévu le coup, ne pas bouger n’aide pas à se maintenir au chaud !

Et ils sont partis. C’était très impressionnant. La marée s’est inversée pendant la course et les équipages ont eu à lutter contre le courant et la dérive des glaces. Les équipes d’Élite homme ont fait deux allers-retours bassin Louise-traversier de Lévis, pendant que les autres n’en faisaient qu’un. Il paraît que cette année les conditions étaient très favorables à la vitesse : moins de 45mn pour la première équipe Élite. Les barreurs ont du trouver le passage entre les glace et la trajectoire la plus favorable pour économiser les bras et jambes des rameurs. C’était une course à la fois technique et très, très physique.

Les supporters criaient leurs encouragements depuis la rive, et parfois leurs moqueries. Nous avons assisté à une presque collision d’un canot avec le quai. Il n’y avait jamais deux rames dans l’eau ensemble, et le barreur avait bien du mal à donner la cadence. Les rires se sont amplifiés quand le nom du canot a été lisible : c’était celui de la marine de Québec et de la compagnie des traversiers. Comme quoi, être sur le fleuve tous les jours ne donne pas un avantage. En tous cas, quel que soit le niveau de l’équipe, c’est une vraie performance physique.

A la fin de la course, je ne sentais plus mes mains ni mes pieds. L’appareil photo s’était mis en grève plusieurs fois pour cause de froid (vraiment les batteries ne résistent pas aux basses températures), mais j’ai fait quelques clichés tout de même. Je suis passée par le marché du vieux port pour me réchauffer un peu et m’offrir un café revigorant.

Comme monsieur wordpress ne me permet pas de publier des vidéos (enfin si, c’est une question de prix…) je vous propose d’aller voir un reportage  de Radio Canada en 1963, et de comparer avec cette vidéo.

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